Hélène Rabaté
Hélène Rabaté, sans titre, 2009
Projection vidéo sur papier peint,
boucle, 58’
D’abord Hélène Rabaté fait partie de ces peintres qui jamais n’utilisent de supports ou de produits relevant de la peinture, au sens propre, de même qu’elle dessine sans jamais faire usage des attributs légitimes du dessin.
Pour elle "il s’agit de travailler à partir d’objets ou de matériaux existants, souvent industriels de par leur mode de fabrication, issus du domaine de la décoration ou destinés à une application courante. J’essaie de repérer dans ces ‘matières premières’ ce qui fait signe ou, au moins, les attributs fondamentaux qui justifient leur utilité et notre manière de les appréhender habituellement." Parce qu’elle consiste bien en un défrichage du sens second, d’un second degré des signes, sa production se réfère à la sémiotique. Elle cherche à les émanciper de leur vocation communicationnelle, comme elle affranchit les objets de leur fonction, à modifier leur statut désormais mutant.
Mais la pratique de cette artiste interroge également les notions de processus, d’action, de geste, de pratique même. En un mot, de "travail". Le sien propre tout autant que celui de ceux et celles qui sont à l’origine des matériaux qu’elle utilise ou qui en feraient normalement usage. Elle instaure un dialogue contre-nature entre les principes de répétition et d’organisation scientifique du travail, chers aux adeptes du taylorisme et du fordisme, aux partisans de l’efficacité d’une part, et les activités de petites mains, plus maigres ou plus modestes, ce qu’on désigne par les termes "ouvrages de dames", qui n’ont d’autre intérêt que de passer le temps et lui donner forme d’autre part. Canevas, crochet, broderie… bref, tout ce qui ressemble à du fer forgé en beaucoup plus mou et plus léger.
C’est sans doute ce qui explique la théorie développée par Hélène au sujet du "rendement minimum" dont Trente-cinq mille constitue une illustration exemplaire. Il ne s’agit pas là de rechercher une absence ou une
carence, mais plutôt un écart, une disproportion entre ce qui est donné à voir et les efforts consentis pour accomplir. Il s’agit de vider le travail de sa destination, de son objet, pour n’en garder que la substance, le
travail lui-même, le "faire", le labeur, sans jamais que soit rendu ce caractère laborieux au stade de sa réception.
Cette œuvre pourrait bien être le fruit d’une relation consommée entre Satie et Beckett. Elle érige l’aliénation au rang d’art.
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